dimanche 20 juin 2010

Voyager à vélo

En bus, les trajets se comptent en heures, à vélo ils se comptent en jours.
En bus, les paysages défilent rapidement comme un film derrière la vitre, à vélo ils sont le jardin que le cycliste arpente à la vitesse idéale pour capter sa beauté jusque dans les détails, respirer la liberté des grands espaces à pleins poumons et avaler suffisamment de kilomètres par jour pour pouvoir traverser un continent en moins d'un an.

Durant la première demi-heure du premier jour, sur une route pas bien belle et trop chargée en voitures, le temps m'a paru un peu long. Je n'avais pas encore bien ouvert les yeux, mon esprit restait concentré sur la répétition des mouvements, la difficulté de l'effort. Les trois semaines qui ont suivi sur la selle de mon vélo sont passées en un éclair trop rapide.

Les paysages à vélo ne sont jamais complètement monotones. Il y a toujours les chants des oiseaux, la musique qui s'échappe de quasiment toutes les maisons en Colombie, les petits animaux qu'on observe au bord de la route, les campesinos qui travaillent dans les champs, un foisonnement de vie qui capte l'attention, qui fournit en continu au voyageur matière à son émerveillement permanent.

Dès qu'il s'arrête dans un village, le cycliste est toujours abordé par quelques habitants curieux. Il n'est pas un touriste comme les autres, en voiture ou en bus. Il est différent et tellement accessible. D'où vient-il, où va-t-il, et pourquoi à vélo ?
C'est le moment pour nous de les faire voyager eux aussi en leur racontant nos expériences, et de comprendre un peu mieux leur culture, leurs pays en leur posant à notre tour des questions.
Pour nous quitter avec un grand sourire et du baume au coeur, nous terminons toujours nos conversations avec des compliments sincères. Leurs visages s'illuminent quand nous leur disons que nous aimons leur pays et son peuple, et nous nous sentons plus que jamais au bon endroit au bon moment quand ils nous disent combien ils trouvent beau notre voyage.




A vélo sur les routes de Colombie, le cycliste se fait souvent klaxonner. Pas ces coups de klaxon appuyés, répétés qui trahissent le stress et l'énervement du conducteur, non un petit coup bref accompagné d'un grand sourire et souvent un geste de la main du chauffeur. En Colombie, le cyclisme est le deuxième sport national, après le futbal évidemment, et les cyclistes, beaucoup plus qu'au Brésil par exemple, sont bien vus sur les routes. Plusieurs fois des gens en voiture nous ont suivi pendant quelques kilomètres pour discuter, nous ont donné à manger en prévision d'une grande montée, ou criaient "Brasil!", "Pelé!" quand je portais le tee-shirt de la seleção!




Coralie attire beaucoup plus que moi les regards des piétons et conducteurs. Les femmes la regardent car dans un pays où elles sont la plupart du temps à la cuisine avec les enfants, voir une femme pédaler avec des gros bagages doit leur sembler assez extraordinaire. Pour les hommes, il n'y a pas besoin d'explication... A ce sujet l'expérience la plus rigolote que nous ayons vécue c'était en descendant du Cotopaxi , quand un des andinistes rencontrés là-bas s'est exclamé tout-à-fait spontanément devant Coco, engoncée dans deux pantalons et trois vestes : "Coralie, tu es la fille la plus sexy que j'ai jamais rencontrée en montagne !!"




A San Agustin, petit village charmant et centre important d'art précolombien dans le sud de la Colombie, nous avons séjourné quelques jours dans une des dizaines de "casas de ciclistas" qui existent en Amérique latine. Le principe est simple : les anciens cyclistes au long cours, quand ils décident de se fixer, en général dans un bel endroit, ouvrent les portes de leur maison à tous les cyclistes qui voudraient passer quelques jours chez eux. A San Agustin, c'est un couple d'Allemands qui a élu domicile. Ils sont extrêmement accueillants, épanouis, ont des milliers de belles histoires à raconter, comme tous les autres cyclistes au long cours. Ils ont sillonné à vélo pendant sept ans les routes d'Amérique.
Jusqu'alors nous nous croyions un peu uniques, au moins originaux après deux semaines passées à pédaler sur les routes colombiennes. Higel notre hôte nous annonce en rigolant que personne jusqu'à présent n'est arrivé chex eux après avoir passé aussi peu de temps sur une selle !
Les soirées sont longues, nous cuisinons à tour de rôle, leurs propres histoires et celles de ceux qui sont passés chez eux repoussent les frontières que nous avions du possible : celle de cet Allemand (Heinz Stuck) qui voyage depuis 50 ans à vélo, qui a parcouru 600.000 km et qui a tout simplement traversé tous les pays du monde ! De cette Américaine qui voyage depuis 28 ans toute seule, et qui ne s'est jamais rien fait voler... De ce couple d'Argentins qui ont repris la route à vélo avec un bébé d'un mois seulement !

Chez eux, tous les cyclistes qui passent plantent un arbre, qui porte sur un petit écriteau le nom du cycliste et la date de la plantation. Dans quelques années, nous reviendrons cueillir les fruits !




Quand, après huit heures d'effort quotidien ou après une semaine de vélo le cycliste s'arrête pour se reposer quelques heures ou quelques jours, il est envahi par la même sensation agréable du devoir accompli que ressent un homme à la fin de sa journée ou de sa semaine de travail. La conscience tranquille, fier de lui, le repos est simplement bon. C'est le moment de repenser à tous les bons moments passés, de recharger les batteries pour partir vers de nouvelles aventures.
A ce rytme-là, s'il n'y avait pas le problème des ressources financières, le cycliste a l'impression qu'il pourrait tenir des mois, des années sur les routes. Ce mode de vie basé sur la découverte pérpétuelle comble tous les sens, l'esprit et le coeur.

Certains soirs, quand le coucher de soleil enflamme des paysages grandioses, qu'il repense à la soirée de la veille à ces gens qui l'ont accueilli la main sur le coeur et qu'il reviendra voir dans quelques années, qu'il respire profondément la brise fraîche du soir parfum liberté, que la fille qui l'accompagne sourit du matin au soir et du soir au matin, alors le cycliste atteint un degré de bien-être qui frôle le bonheur.




La vie est un grand voyage, celle du cycliste au long cours est d'avancer vers un horizon souvent bleu, toujours riche en promesses, alors il filerait bien la métaphore jusqu'au bout, pendant des mois, des années, en faisant de ce voyage sa propre vie.

1 commentaire:

coralie a dit…

Effectivement, une fois le corps habitué aux différents maux du cycliste, le risque est de ne pas s'arrêter, même quelques jours c'est parfois difficile car l'horizon appelle toujours plus loin! Le pire est de rebrousser chemin lorsqu'une opportunité se presente mais qu'il y a du temps pour avancer entre les deux!